La décoratrice d’intérieur Madeleine Castaing (1894 – 1992)
Madeleine Magistry, fille d’un ingénieur, épouse très jeune le critique d'art Marcellin Castaing. Celle-ci avait fait sa connaissance alors qu’elle n’était encore qu’adolescente. Marcellin Castaing, 20 ans plus âgé qu'elle, était réputé pour son immense culture à la fois littéraire et artistique. Pendant la cinquantaine d'années que dura leur mariage, il fut la grande passion de son épouse. La décoratrice Madeleine Castaing fait ses débuts en tant qu’actrice, au cours des années 1920, dans le cinéma muet où elle y affirme un certain talent. C’est à cette époque que Marcellin lui offre la gentilhommière en style néoclassique dont elle a toujours rêvait. Celle-ci se situe près de Chartres, dans la commune de Lèves. Marcellin souhaite en effet que son épouse puisse s’adonner à sa passion alors naissante pour la décoration. Les deux époux sont aussi passionnés d’art. Ils entretiennent des liens étroits avec les artistes peintres de leur époque. C’est ainsi que, quelques temps après la mort de leur ami le peintre Amedeo Modigliani, les époux Castaing font la connaissance du peintre Soutine. Si leur 1re entrevue fut difficile, ils deviennent cependant les propriétaires de la plus grande collection particulière de tableaux de l’artiste. Celle-ci est constituée d’une quarantaine d’oeuvres. La décoratrice Madeleine Castaing voit alors en lui un immense peintre. Elle le compare aux plus grands tels que Rembrandt ou Greco. En été, de 1930 à 1935, les époux Castaing accueillent ainsi Soutine chez eux dans leur domaine de Lèves. Ils deviennent ses mécènes et principaux acheteurs. C'est d’ailleurs grâce à eux que Soutine put organiser en 1935 sa 1ère exposition. Soutine réalise une toile de Madeleine Castaing. Celle-ci, intitulée « La Petite Madeleine des décorateurs », est aujourd'hui exposée à New-York au Metropolitan Museum of Art. L'expression « petite Madeleine » renvoie à la « petite madeleine » de Proust, auteur avec lequel la décoratrice d’intérieur entretenait un lien tout particulier. Madeleine Castaing, selon ses propres dires, a en effet consacré plusieurs dizaines d'années à lire et à relire l’œuvre de Proust. D’une manière générale, les époux Castaing furent les mécènes de peintres de l'École de Paris et autres artistes de l'académie de la Grande Chaumière. Par ailleurs la décoratrice Madeleine Castaing se lia d’amitié avec le compositeur Erik Satie mais aussi Maurice Sachs, Blaise Cendrars, André Derain, Chagall, Picasso, Henry Miller ou Louise de Vilmorin. Certains d'entre eux furent ses clients à l'image de Francine Weisweiller, dont elle décora la villa Santo-Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat, ou Cocteau dont elle aménagea la maison à Milly-la-Forêt. C’est à partir des années 1930 que les choix artistiques de la décoratrice d’intérieur Madeleine Castaing jouent un rôle prépondérant dans le monde de l'art. Son influence fut considérable tant à travers son activité d’antiquaire que dans son métier de décoratrice. Sa galerie d'antiquaire ouvrit à Paris, rive gauche, en pleine guerre. La propriété de Lèves venait en effet d'être réquisitionnée par les troupes allemandes. Madeleine Castaing souhaitait continuer à « chiner » dans les brocantes et à accumuler ses trouvailles, objets d'art de prix ou bibelots de peu de valeur. Dans cette boutique, célèbre durant un demi-siècle pour sa devanture noire et ses grandes vitrines, la maitresse des lieux était réputée pour ne vendre qu'en fonction de ses sympathies. Celle que l'on appelait alors la « diva de la décoration » ne vendait qu’aux personnes qui lui plaisaient et avec qui elle pouvait longuement discuter. Le style de la décoratrice a influencé le goût de plusieurs générations de collectionneurs, tant en Europe qu’aux États-Unis. Il existe même une couleur à son nom qui fut créée par la décoratrice pour l'aménagement de sa gentilhommière de Lèves. Il s’agit d’un bleu à la fois clair et intense, appelé le « bleu Castaing », que la décoratrice utilisait souvent en contraste avec du blanc cassé ou du noir. Tout au long de sa carrière, à la fois d'antiquaire et de décoratrice, Madeleine Castaing s'est expliquée sur ses choix et critères esthétiques. Elle souhaitait notamment réhabiliter l'esthétique du 19e siècle, en particulier le style Napoléon III. À contre-courant de la mode et des conventions de l’époque, la décoratrice insistait sur le sentiment de saturation que lui inspiraient « le faux Louis XVI, les sinistres bergères et les tentures de velours frappé ». Selon sa propre devise la décoratrice d’intérieur faisait des maisons comme d'autres des poèmes. Son disciple l’architecte d’intérieur Jacques Grange évoque à son propos « des émotions que l'on ne connaissait pas jusqu'alors dans le monde de la décoration ». Ces émotions influencent encore aujourd'hui les décorateurs et architectes d’intérieur français et étrangers. Le style Madeleine Castaing pourrait être définit comme une variation de l'esthétique dite néo-classique. Contemporaine du décorateur Italien Mario Praz, qui s'éloigne des canons habituels de la décoration d’intérieur et se tourne vers le début du 19e siècle et rivale d'Emilio Terry qui invente pour sa part le « style Louis XVII » ; Madeleine Castaing s'inscrit dans un même mouvement de renouveau. Il s’agit en effet pour la décoratrice d’intérieur de se détacher des sempiternels styles Louis XV et Louis XVI, tout en imposant son éclectisme. Ainsi dans sa galerie, comme dans sa gentilhommière ou son appartement parisien, les banquettes en demi-lune du Second Empire voisinent avec les motifs à palmettes Directoire, les chintz anglais, les trophées de chasse, le dépouillement monochrome du style gustavien, les rayures bayadère qu'elle adapte au goût du jour, les couleurs franches telles que le bleu et le vert du 18e siècle, les demi-teintes Wedgwood, les courbes du Biedermeier, les sièges de bambou et les frontons triangulaires à la manière de Pavlovsk, les ottomanes et les moquettes en faux léopard inspirées de l'Empire, les opalines lactescentes de la période Louis-Philippe… La Russie, la Suède, la Grande-Bretagne des années 1790 côtoient par ailleurs les tôles laquées et les « causeuses » Napoléon III alors que les silhouettes noires découpées sur fond blanc trônent sur des papier-peints à rayures.
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