Le Palais des Papes, Avignon
« La captivité de Babylone »… C’est ainsi que les italiens ont baptisé le séjour des papes à Avignon au XIVe siècle. En fait la décision prise par Clément V dès son élection en 1305 d’abandonner Rome reposait sur des raisons bien précises : l’Italie traversait alors une période de crise politique qui menaçait la sécurité du trône pontificale et rendait nécessaire le choix d’une autre résidence. Déjà ses prédécesseurs avaient, à plusieurs reprises, été contraints de s’installer provisoirement en France. En effet, deux conciles œcuméniques d’une grande importance s’étaient tenus à Lyon en 1245 et 1274. Mais ces déplacements conservaient un caractère provisoire. Les papes n’avaient jamais encore envisagé d’établir leur capitale en dehors de la ville éternelle : « Voilà, écrit Renan, ce que fit Clément V, non par suite d’un plan fortement calculé mais par nécessité. »
Bertrand de Got, qui prit le nom de Clément V, était, avant son élévation au trône pontifical, archevêque de Bordeaux et par conséquent sujet de Philippe le Bel, mais vassal du roi d’Angleterre. Elu à Pérouse, il fut couronné à Lyon. Son premier projet fut de réconcilier les souverains de France et d’Angleterre et de les unir dans une nouvelle croisade. Il se rendit dans ce but à Bordeaux. Il n’arriva à Avignon qu’en 1309. Le choix d’Avignon s’explique facilement. La ville touchait au Comtat Venaissin, propriété pontificale depuis le XIIIe siècle. Elle était la propriété du comte de Provence, Charles II d’Anjou, fidèle vassal, en tant que roi de Naples, de l’Eglise. De plus, la région jouissait d’un grand calme à une époque extrêmement troublée. Il ne semble pas cependant que Clément V ait eu l’intention de s’y fixer d’une manière définitive. Il s’installa en effet au couvent des Dominicains, mais résida en fait souvent à Carpentras et dans le Comtat, ainsi qu’au prieuré du Groseau où il prépara le Concile de Vienne qui devait abattre la puissance des templiers. Son successeur, Jacques Duèse, élu à Lyon en 1316 sous le nom de Jean XXII après un conclave agité qui dura près de deux ans, était fils d’un bourgeois de Cahors. Il avait été cardinal de Porto et évêque d’Avignon. Il installa la cour pontificale dans l’évêché de cette dernière ville qu’il fit seulement remanier et agrandir.
C’est Jacques Fournier, moine cistercien, élu pape en 1334 sous le nom de Benoit XII, qui, après avoir songé à retourner à Rome, décida de remplacer l’ancien palais épiscopal par un édifice mieux fortifié et mieux adapté aux besoins de l’administration pontificale. « Nous avons pensé, écrira-t-il, et mûrement considéré qu’il importe beaucoup à l’Eglise romaine d’avoir dans la cité d’Avignon, où réside depuis longtemps la cour romaine et où nous habitons avec elle, un palais spécial où le pontife romain puisse demeurer quand et aussi longtemps qu’il lui paraîtra nécessaire. » Les constructions, entreprises en 1335 et très activement menées sous la direction de Pierre Poisson jusqu’à la mort du pape en 1342, constituent ce que l’on appelle aujourd’hui le Palais Vieux. Cette entreprise considérable demanda évidemment des fonds extrêmement importants. Bien que fort austère pour lui-même et pour sa famille, Benoit XII y dépensa « un énorme trésor » (celui amassé par son prédécesseur Jean XXII). Malgré ses vastes dimensions, le Palais Vieux porte l’empreinte de son constructeur, cistercien d’origine modeste et mœurs frugales. Le bâtiment est en effet d’une sobriété monacale, où l’architecture est plus proche de celle d’un couvent que d’un palais.
Tout différent était son successeur, Clément VI, pape en 1342. Pierre Roger de Beaufort avait été archevêque de Sens, puis de Rouen, et avait occupé le poste important de chancelier de France. Grand seigneur, aimant le luxe, orateur réputé, ami des artistes et des lettrés, il affirmait avec condescende que ces prédécesseurs « n’avaient pas su être pape ». Les seules fêtes de son couronnement coutèrent 14 000 florins. Il entreprit immédiatement la construction d’un nouveau palais, le Palais Neuf, qui prolongeait l‘édifice de Benoit XII. Les plans en furent demandés à Jean de Loubrières, originaire de Tarascon. Mais le décor intérieur était l’oeuvre d’artistes italiens, en particulier de Matteo Giovanetti, peintre du pape. De plus, en 1348, Clément VI achetait la ville d’Avignon à la reine Jeanne, comtesse de Provence, pour une somme de 80 000 florins d’or.
Ces dépenses firent que, à la mort du souverain pontife en 1352, le trésor apostolique se trouvait à sec. Innocent VI dut même vendre, en 1358, de l’argenterie, des bijoux et des ornements précieux. Il se contenta de terminer les travaux d’architecture et de décoration entrepris par son prédécesseur. Dès lors le palais est achevé et les modifications apportées par Urbain V et ses successeurs ne porteront que sur des détails. D’ailleurs la paix dont bénéficiait la Provence et qui avait, au départ, déterminé le choix d’Avignon, était troublée, de 1357 à 1360, par les incursions des grandes compagnies. Elu en 1362, Guillaume de Grimoard, abbé de Saint-Victor de Marseille, qui prit le nom d’Urbain V, s’avéra un « moult saint homme et de belle vie », au dire de Froissart, ennemi du luxe et des abus et favorable à une réforme ecclésiastique. « J’ai appris, lui écrivait Pétrarque, que vous aviez renvoyé dans leurs églises les prélats qui remplissaient la cour romaine : c’est bien et très bien fait… Je sais que vous vous donnez beaucoup de peine pour ramener la modestie et la décence dans les vêtements… Comment, en effet, supporter sans se plaindre les nouveautés monstrueuses qui s’étalent sous nos yeux, des souliers pointus comme la prou des galères, des chapeaux à ailes, des chevelures entortillées, à longues queues, des peignes d’ivoire plantés sur le front des hommes simulant les femmes. »
Cependant, le vœu le plus cher du pape était de regagner Rome : malgré les instances de la cour de France et des cardinaux français, il quitta Avignon le 30 avril 1364 et fit son entrée dans la ville éternelle le 16 octobre. Mais dès l’été 1370, inquiet de la reprise des hostilités entre la France et l’Angleterre, et aussi des troubles qui agitaient Rome, il reprit le chemin d’Avignon, où il mourut huit jours après son arrivée, le 19 décembre.
Son successeur, Grégoire XI, était également Français et neveu de Clément VI. C’est lui qui, pressé par les lettres enflammées de sainte Catherine de Sienne, décida de reprendre le chemin de Rome où il s’installe avec sa cour au début de l’année 1377. Sa mort, un an plus tard, fut à l’origine du grand schisme.
Le conclave comprenait évidemment une majorité de cardinaux français, bien décidés à élire un de leurs compatriotes. Les romains ne l’entendaient pas de cette oreille et organisèrent une émeute sur la place Saint-Pierre. Ils menacèrent de mort le sacré collège au cas où le nouveau pontife ne serait pas italien. L’archevêque de Bari fut finalement désigné. Il prit le nom d’Urbain VI. Mais les Français, mécontents du nouveau pape, et considérant d’ailleurs qu’ils avaient voté sous la contrainte, se réunirent à Fondi, et élirent, le 20 septembre 1378, Robert de Genève, l’antipape Clément VII. Dès lors la Chrétienté se partagea en deux camps où, à côté d’hommes de bonne foi, s’en trouvèrent d’autres obéissant avant tout à des considérations d’ordre politique. L’Italie du centre et du nord, l’Angleterre, les Flandres et l’empereur reconnurent Urbain VI. La France, l’Espagne et le royaume de Naples prirent parti pour Clément VII qui, en 1379, vint s’installer à Avignon.
Le règne des antipapes successifs fut peu favorable à la ville qui n’évita d’être pillée, comme le reste du Comtat par les bandes de Raymond de Turenne, qu’en versant de grosses sommes d’argent. En 1394, à la mort de clément VII, la cour de France tenta d’empêcher l’élection de son successeur afin d’entamer des négociations avec le pape de Rome et de mettre fin au schisme. Elle ne put cependant empêcher la nomination de Pietro de Luna, futur Benoit XIII. Bien que soutenu par le roi d’Aragon et le duc d’Orléans, père de Charles VI, le pontife se vit abandonner par le roi, la plupart des cardinaux et des Avignonnais eux-mêmes. Il dut, en 1398, se retirer de son palais assiégé par Boucicaut, et ne parvint à s’en échapper que cinq ans plus tard. Il partit pour l’Italie et chercha à s’entendre avec son rival, Grégoire XII. Finalement, en 1409, le concile de Pise déposa les deux papes et désigna Alexandre V qui mourut après quelques mois de règne et fut remplacé par Jean XXIII. Mais ni Benoit XIII ni Grégoire XII n’acceptèrent de renoncer à la tiare. Avignon, après être resté jusqu’en 1411 à Benoit XIII, représenté par son neveu Rodrigue de Luna, se rallia à Jean XXIII qui fit restaurer le palais et songea même à s’y installer. Mais l’Europe était fatiguée du schisme : sur les instances de l’université de Paris et de l’Empereur Sigsimond, Jean XXIII et Grégoire XII se soumirent. Seul Benoit XIII, qui s’était réfugié chez le roi d’Aragon, s’obstina jusqu’à sa mort en 1424 à conserver son titre.
La papauté avait évidement apporté à Avignon un lustre extraordinaire. La cour pontifical était alors la plus peuplée et la plus importante d’Europe, chaque cardinal étant lui même entouré d’une foule de familiers et de subalternes. Les papes recevaient au palais souverains étrangers et ambassadeurs au cours d’audiences magnifiques. Celles données aux envoyés du « grand empereur des Tartares », en 1338, les visites de Jean Paléologue, empereur de Constantinople, et de Charles VI, empereur du Saint Empire romain germanique, en 1365, comptèrent parmi les plus remarquables. Le départ des pontifes devait mettre fin à ces splendeurs. Un grand négociant italien, Datini, écrivait alors : « L’Avignon d’aujourd’hui n’est plus celle que vous avez connue : ici les choses paraissent mortes. »
Cependant, sur les instances des Avignonnais, les papes se décidèrent à nommer un représentant dont la personnalité apportât un certain éclat. Ce fut en 1432 le cardinal de Foix qui reçut le titre de vicaire général du Saint-Siège et de légat « a latere » dans les provinces ecclésiastiques d’Arles, d’Aix, de Vienne, d’Embrun, de Narbonne, de Toulouse et d’Auch. Le légat occupait en fait la position de vice roi et résidait au palais, entouré d’une petite cour. La ville, bien placée entre Marseille et les grands centres qu’étaient Lyon et Genève, retrouva un peu de son lustre d’antan.
Après la mort du cardinal de Foix, la légation fut, sur les instances de Louis XI, donnée en 1472 à Charles de Bourbon, archevêque de Lyon. Mais en 1476, Sixte IV désigna son neveu, Julien de la Rovère, le futur Jules II, qui, après une courte résistance du cardinal de Bourbon, parvint à faire reconnaître son autorité. Il reçut au palais, en 1498, la visite de César Borgia, fils d’Alexandre VI.
A partir du XVIe siècle, les légats, français d’abord, puis exclusivement italiens, ne résidèrent plus guère à Avignon. En effet, dès la fin du XVIIe siècle, la légation était supprimée et un simple vice-légat représenta l’autorité pontificale. Le palais, encore bien entretenu par les cardinaux de Foix, de la Rovère et de Clermont-Lodève jusqu’au milieu du XVIe siècle, fut peu à peu laissé à l’abandon par la suite. Le comte de Grignan, gendre de Madame de Sévigné et gouverneur de Provence, le décrivait en 1688, comme « une masure inhabitable ». La ruine ne fit que s’accentuer au XVIIIe siècle. La Révolution réunit Avignon et le Comtat à la France. Le palais, livré aux pillages, servit de prison, puis de caserne sous le Consulat. En 1810, l’Etat céda les bâtiments à la ville, chargée d’en assurer l’entretien. En fait, malgré toutes les protestations, dont celles de Montalembert, de nombreuses transformations et destructions eurent lieu sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Ce n’est qu’en 1906 que l’édifice fut évacué par les militaires et que put être entreprise une restauration qui ne fut pas achevée.
Le palais des papes a été classé, en 1995, en même temps que le centre historique d'Avignon, l'ensemble épiscopal et le pont d’Avignon sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Le lieu, de par sa dimension, ses qualités architecturales et l'ambiance qu'il procure, sert régulièrement de cadre à des expositions et au célèbre festival éponyme.
Avec environ 650 000 visiteurs par an, le palais des papes est l'un des dix monuments les plus visités de France. Le programme architectural de l’ensemble exerce une fascination qui ne se dément toujours pas sur les visiteurs.
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